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Le renouvellement de la classe politique passe aussi par celle des institutions

La crise politique actuelle oblige les partis à interroger la représentativité de toutes les classes de la population au sein des institutions qu’elles défendent. Qu’on évoque ici les classes sociales du point de vue de l’économie, de l’âge, du sexe ou d’un autre critère de différenciation, il est essentiel dans une période de tumulte, de répondre favorablement aux attentes d’une majorité de citoyens qui peinent à se reconnaitre dans les instances de représentations nationales. Et ne nous trompons pas, le crédo promut par Macron en 2017 qui consisterait à introduire une partie de la société civile comme solution durable à la crise sociale ne suffira pas. Car il faut bien reconnaitre que la crise que l’on connait aujourd’hui, a traversé – certes dans des proportions moindres – les gouvernements précédents et toucheront encore bel et bien les suivants.

L’échec des deux Républiques 

Les crises politiques seraient-elles imputables à de mauvaises institutions ou relèveraient-elles au contraire du comportement des hommes ? En son temps, De Gaulle avait tout au long de sa campagne imputé la mauvaise santé de l’Etat à l’ancien régime et qu’il nommait « l’ancien système » (d’autres plus contemporains, appelleront ça « l’ancien monde ») ce qui n’était pas le cas de Léon Blum qui au contraire, incriminait la faiblesse des Hommes plutôt que celles des dispositions de la Constitution. Si aujourd’hui, à l’orée des connaissances que nous avons nous pourrions faire une synthèse de ces deux thèses, il est assez certain de relever que les structurations passées et actuelles font état d’un régime qui ne permet pas de se prémunir de cette « faiblesse humaine ». Ainsi, l’avènement de la Vème République naquit de l’échec de la IVème à priver les élus de la confiance et de l’appui populaire. La Vème s’est voulu moins soumise aux aspirations populaires, aux vents changeants et la vie démocratique dont l’essence reste et restera vive et mouvementée. Mais les français ne sont pas enclins à déléguer le pouvoir sans contrôle à une seule personne. Ce constat, relevé par Pierre Mendès France en 1962 l’est encore aujourd’hui, mais bien plus prégnant et notamment par une structuration successive – et parfois liberticide – mise en place par les gouvernements de la Vème comme dernièrement les lois promulguées suite à l’état d’urgence;« Il est vrai que l’autorité ne se puise pas dans les lois d’exception ou dans les mesures arbitraires, mais dans une action menée au nom du peuple et avec le concours du peuple » peut-on lire dans la République Moderne de Mendès France il y a près de 60 ans déjà.

La Vème République concentre tant les pouvoirs qu’elle ne permet plus la respiration démocratique et soumet l’Etat à des crises sociales sans précédents puisqu’elle ne permet pas aux populations d’exprimer la réalité du quotidien aux élus qui en semblent éloignées. Ce constat n’est pas celui de 2019, mais tout bonnement de la Vème République et résonne étonnement avec l’actuelle crise des gilets jaunes. Le caractère sérieux du mécontentement populaire que traduisent les grèves et les mouvements sociaux sont un signe certain que la politique économique, malgré l’accroissement de la production, a aggravé les inégalités et une répartition injuste, et il convient de mettre ce constat en lien avec la concentration d’un pouvoir trop en lien avec les groupes d’intérêts et où le citoyen n’a plus son mot à dire. De ces groupes d’intérêts, il faudra aussi certainement y intégrer désormais le haut fonctionnariat – technocrates venus de milieux d’affaires et de la haute administration – comme classe dirigeante au service d’un Etat réifié qui rongent les structures sociales et entravent le fonctionnement et paralysent à terme, le progrès d’une société. 

La France est un pays aux aspirations fondamentalement socialistes et aux valeurs collectives, mises en danger par un régime qui ne permet que la centralisation du pouvoir par une classe dominante qui n’est pas soutenu par la majorité de la population. Ainsi, les projets sont régulièrement chahutés et provoquent des crises sociales importantes. La classe dominante n’étant pas la classe majoritaire, il en résulte d’innombrables contradictions et des convergences impossibles.

La représentation de la population: Un éternel et vieux débat qui date de 1958.

En 1962, soit 4 ans après la promulgation de la Vème République, Pierre Mendès France pointait déjà du doigt le caractère peu représentatif du régime avec un Président de la République quasiment tout puissant et un chef de gouvernement fusible choisi non pas par le peuple, mais nommé par l’exécutif. En plus de la prépondérance de certains intérêts privés influents sur les décideurs politiques de la Vème, il évoqua l’importance de relever le défi institutionnel auquel sont confrontés les français et l’importance de considérer la structuration actuelle comme un danger pour le respiration démocratique qui accentue les risques de populismes. Une part de ces citoyens non considérés peuvent nourrir ce sentiment amer d’une non appartenance à la vie citoyenne, s’ajoutant au phénomène de paupérisation, et nous risquons de les voir ainsi se tourner vers des mouvements repliés sur eux-même et qui en apparence, laissent toute place à l’individuation. Il fait en 1962, un constat sur le rôle du citoyen dans la République qui revient à dire que la « démocratie ne consiste pas à mettre épisodiquement un bulletin dans une urne, à déléguer les pouvoirs à un ou plusieurs élus, puis à se désintéresser, s’abstenir, se taire pendant cinq ans », et pour conclure qu’une démocratie est « une action continuelle du citoyen, non seulement sur les affaires de l’Etat, mais sur celles de la région, de la commune, de la coopérative, de l’association, de la profession ».

La démocratie et in fine, la stabilité d’un Etat, d’un régime, ne prévalent que si l’ensemble du corps social imprime à la vie collective une jeunesse constamment renouvelée, décideuse à l’instant T de son propre dessein et confronté à ses défis propres. L’écologie aujourd’hui devient un préalable essentiel pour les générations à venir.

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La participation citoyenne à l’épreuve des violences de classe

Depuis bientôt deux ans, on entend fleurir le terme de « mouvements citoyens » dans l’espace public. S’il faut se réjouir du « retour » de chacun et chacune dans l’intérêt de la chose publique, il y a pourtant une réalité toute autre dès l’instant où l’action citoyenne se confronte aux classes politiques en place.

« L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes. » (Karl Marx, manifeste du Parti communiste).

Et c’est bien là tout l’objet du problème. Car la mobilisation citoyenne se confronte aujourd’hui aux limites de sa propre classe en ce sens qu’elle doit faire face à deux objections majeures. D’abord le fait de lutter contre l’inégalité sociale dont on est issu (disons celle de nature bien qu’il ne puisse exister une classe dite de nature) puis ensuite la lutte qui permet  d’accéder aux moyens de la lutte elle-même (les combats socio-politiques).

Sur ce terrain, il serait présomptueux de penser que la tendance politique à laquelle nous appartenons nous prémunit de ce travers. S’il est facile de dégager les grandes classes sociales de la société, il existe des sous-classes au sein même de ces grandes classes. Ainsi, il faut considérer la classe politiquecomme une classe à part, de même que pour celle des citoyens qui se définit par des codes d’appartenances propres et qui se distingue de l’appartenance à la première. Le fait, très récent, que le Parti socialiste français ait choisi d’intégrer au sein de sa liste aux européennes, un nombre de citoyens ( issu de Place Publique, ndlr) montre qu’il y a des espaces d’échanges (de transfuges de classe) qui permet aux uns, de passer d’un statut à l’autre sans produire de « heurts politiques ».

« Toute classe qui aspire à la domination doit conquérir d’abord le pouvoir politique pour représenter à son tour son intérêt propre comme étant l’intérêt général. » (Karl Marx, l’idéologie allemande)

Car l’idée de transfuge est bien au centre de cette double lutte des classes. Pour lutter contre les inégalités au plus haut niveau il faut d’abord travailler à son propre transfuge et ainsi passer d’une classe (citoyenne) à une autre (politique) pour que l’ensemble de la société reconnaisse l’action de l’individu comme légitime par ce qui est considéré aujourd’hui par l’ensemble du corps social comme étant une classe dominante. Hors, l’idée de transfuge induit une forme de méritocratie. Il faut donc mériter l’accès à la la classe politique pour pouvoir agir en tant que citoyen ce qui se trouve être en contradiction avec l’idée d’égalité universelle dont nous nous réclamons (je choisis de ne pas développer ici la notion de mérite bien qu’elle appelle encore à questionner l’idée de validation d’une action par rapport à un référentiel dominant).

Mais il existe pourtant un moyen de refuser de se voir imposer cette double confrontation, source de luttes intestines et produisant un éloignement du citoyen de son combat originel au détriment de celle qui consiste à la reconnaissance d’un individu par la classe dominante.

Se reconnaitre en classe pour soi plutôt que d’accepter la classe en soi.

Agir au sein d’un parti politique ne doit pas se substituer à la raison qui nous a poussé à militer. Les partis, même s’ils participent à la formation des individus, au bon déroulement d’une action politique et à la constitution de corps intermédiaires essentiels à l’organisation de ces luttes, doivent aussi se nourrir des singularités individuelles qui enrichissent leur classe en soi (celle du politique). Il y a dans l’action citoyenne, une défiance des politiques à l’égard de ces individus qui investissent le champ de l’action publique. Cette résistance de la classe politique ne doit pas mettre hors jeu les aspirations salutaires des individus de la société car si les citoyens décident de se lever et de prendre en main leur propre destin, c’est bel et bien dans le sens du progrès social.

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Feindre les inégalités sociales aujourd’hui, c’est s’exposer au repli identitaire, demain.

« Il y a des inégalités en France. […] Est-ce que mon rôle est de dire ici ce soir je vais les empêcher ? Je vais les bloquer ? Non. » Emmanuel MACRON, 15 avril 2018

L’interview donné par Emmanuel Macron dimanche soir sur BfmTV et Médiapart aura sans doute convaincu les derniers sceptiques, que le Président de tous les français, ne sera en réalité que le Président d’une catégorie qui se porte bien. C’est un discours adoubant un état de fait, celui de la concurrence normalisée, de deux mondes qui s’opposent, discours devenu presque routinier, où l’égalité des chances n’est devenu qu’une notion symbolique que l’on retrouve en bas de page d’un livre d’histoire, sur les grandes avancées sociales d’un siècle passé. 

Le discours porté devant près de 66 millions de téléspectateurs potentiels, face à deux journalistes portants haut les questionnements citoyens, rapportant ici et là les bouillonnements d’un peuple déjà trop exsangue d’un an de libéralisme, nous aura convaincu, que chaque citoyen n’aura pas la même valeur aux yeux d’un exécutif qui a définitivement perdu pied avec les françaises et les français. Si tant est que devions encore nous rassurer sur les orientations inégalitaires déjà entreprises, il faudra désormais ne plus espérer dans ce quinquennat pour que chaque personne précaire, chaque association de lutte contre la pauvreté, chaque enfant issu des classes populaires puissent voir son avenir éclairé par des politiques de solidarités nationales dignes de la 5ème puissance mondiale. Car dans un pays qui s’est voulu sans privilèges, il y en a encore qui ont le privilège d’être pauvre.

« Nier les réalités ne les feront pas disparaitre »

Comment entendre un président nier les conditions précaires dans lesquelles se trouvent près de 9 millions de français ? Comment feindre au soir du 22 mars les revendications des français, et répéter inlassablement à la veille d’un lancement de campagne européenne, que ces mêmes français sont en colères ? Aurions-nous face à nous un chef d’Etat aux discours ambivalents, jouant des mots pour gagner sur le terrain des populismes ? Il n’y a pas une France en bonne santé et une France malade, mais une France indivisible, solidaire et forte de ses acquis sociaux. Les français sont fondamentalement solidaires et le discours ambiant consistant à opposer ceux qui réussissent et ceux qui ont des fins de mois durant 30 jours ne doivent pas s’ignorer ou se confronter. Le combat de demain consiste à rassembler un pays autour d’un projet politique cohérent et incluant. Il y a derrière ce jeu dangereux, celui qui consiste à diviser selon les statuts, à opposer selon les classes ou les intérêts, à dresser les citoyens et citoyennes françaises, à graduer les inégalités – auxquelles un nombre croissant d’entre nous sommes confrontés – un risque fondamentalement imprudent pour nos démocraties. Car ne pas considérer ces inégalités, c’est rejeter massivement les préoccupations concrètes d’une part de la population française. Mais ne nous leurrons pas, nier les réalités ne les feront pas disparaitre !

Que dire de l’espoir de ce même exécutif sur sa vision européaniste volontairement tournée vers la jeunesse quand on sait que les jeunes françaises et français sont les premier.es à souffrir de la précarité normalisée et de la pauvreté ? La réalité des chiffres montre que la moitié des pauvres en France ont moins de trente ans, et parmi eux, 1,8 million sont des enfants et des adolescents: Ils représentent aujourd’hui un tiers de l’ensemble des cinq millions de personnes pauvres. Comment construire, rassembler et donner de l’espoir à une masse en souffrance ? Comment donner confiance à ceux qui depuis des années, restent sur le bord de la route attendant que les trains des réformes veuillent bien s’arrêter dans leur hameau de solitude quand, à une heure de grande écoute, le chef de l’Etat enterre, dans une déclaration sonnant comme un couperet, le restant de dignité de ces « riens » que sont les personnes en situation de fragilité sociale.

« Des générations sacrifiées, se détourneront des bureaux de votes. »

Il y a dans ce risque majeur à ne pas considérer ceux qui souffrent, un danger pour nos démocraties. Si les décideurs politiques actuellement en responsabilité n’incluent pas les préoccupations des personnes En Marge! dans leur politiques d’inclusions et de cohésion sociale, alors il sera trop tard demain quand ces mêmes populations, ces générations sacrifiées, se détourneront des bureaux de votes: Les dernières élections en France et en Europe sont pourtant des alertes tangibles que nous feignons de ne pas voir. A l’heure de la  montées des populismes, de la Hongrie de Viktor Orban, il est urgent de se saisir des inquiétudes sociales si nous ne voulons pas être des spectateurs impuissants d’une masse considérable de citoyen.ne.s qui se tourneront vers les extrêmes en juin prochain.

M. Emmanuel Macron, la lutte contre la précarité doit être ambitieuse. Elle doit permettre à chacun et chacune d’entre nous de vivre dans la dignité et de ne plus dépendre de mesures politiques de vitrine. Il existe des solutions à notre portée: Le guichet unique, le Revenu Universel d’Existence, une juste répartition de la richesse, une taxation à la hauteur des revenus de chacun et bien d’autres encore ! L’ambition que vous portez ne doit pas se limiter à votre hauteur mais à celle d’un pays tout entier où se côtoient citoyens fragiles et individus aisés; Oui, il y a des inégalités dans ce pays, et votre rôle en tant que chef de l’Etat, est de les empêcher, de protéger chaque français de l’exclusion sociale.

Si vous êtes coutumier de foncer tête baissée en entrant dans nos institutions, pressé d’améliorer les choses, vous ne pourrez ignorer nos valeurs républicaines inscrites dans le marbre des frontons de nos mairies. Ne nier pas les valeurs qui ont fait de la France ce qu’elle est: Un Etat solidaire, fraternel et libre de toute oppression, économique et financière.